Jurisprudence - Revirement jurisprudentiel en matière d'indemnisation des salariés victimes de maladies professionnelles

Actualité
26/01/2023

Lorsqu'un salarié est victime d'une maladie professionnelle et que la faute inexcusable de l'employeur est reconnue, quels sont les préjudices indemnisés par la rente prévue par le Code de sécurité sociale ?

Le salarié victime, ou ses ayants droit, peut-il prétendre, au titre des souffrances post-consolidation, au-delà du versement de la rente, à une réparation complémentaire ? Les victimes de maladie professionnelle ou d'accident du travail ou leurs ayants droit peuvent prétendre à une indemnité complémentaire distincte de la rente prévue par le Code de la sécurité sociale. Ainsi en a jugé la Cour de cassation dans deux arrêts du 20 janvier 2023, classés « B + R », opérant un revirement jurisprudentiel.

Car jusqu'alors, comme rappelé dans le communiqué accompagnant ces décisions, la Cour jugeait que la rente prévue par le Code de la sécurité sociale, versée aux victimes de maladie professionnelle ou d'accident du travail en cas de faute inexcusable de l'employeur, indemnisait tout à la fois la perte de gain professionnel, l'incapacité professionnelle et le déficit fonctionnel permanent (le handicap dont vont souffrir les victimes dans le déroulement de leur vie quotidienne) (V. CSS, art. L. 452-3 ; Cass. 2e civ., 11 juin 2009, n° 08-17.581 ; Cass. 2e civ., 11 juin 2009, n° 08-16.089). Pour obtenir de façon distincte une réparation de leurs souffrances physiques et morales, ces victimes devaient rapporter la preuve que leur préjudice n'était pas déjà indemnisé au titre de ce déficit fonctionnel permanent (Cass. 2e civ., 28 févr. 2013, n° 11-21.015). Or, cette preuve pouvait être difficile à apporter.

Avec les arrêts du 20 janvier 2023, la Cour de cassation permet désormais aux victimes ou à leurs ayants droit d'obtenir une réparation complémentaire pour les souffrances physiques et morales endurées après « consolidation » (état définitif des séquelles dont est victime une personne). Une réparation qui peut être obtenue sans que les victimes ou leurs ayants droit n'aient à fournir la preuve que la rente prévue par le Code de la sécurité sociale ne couvre pas déjà ces souffrances. Ainsi la Cour « élargit le périmètre d'indemnisation d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, en cas de faute inexcusable de l'employeur ». Pour quel résultat attendu ? « Les victimes, comme leurs ayants droit, seront mieux indemnisées, notamment celles qui ont été exposées à l'amiante », explique-t-elle dans son communiqué.

On retiendra que les affaires examinées l'ont été en Assemblée plénière, formation de jugement la plus solennelle, au sein de laquelle toutes les chambres de la Cour de cassation sont représentées. Et que les juges du droit sont revenus sur l'état de leur jurisprudence antérieure, alors qu'ils avaient à trancher des divergences de position apparues entre deux cours d'appel. L'une d'elles avait suivi la jurisprudence de la Cour en considérant que la rente prévue par le Code de la sécurité sociale devait être versée ; mais qu'il n'y avait pas lieu d'y adjoindre le versement d'indemnités liées aux souffrances physiques et morales de la victime après la « consolidation ». L'autre avait considéré qu'une rente devait être versée à la victime d'une maladie professionnelle, comme le prévoit le Code de la sécurité sociale ; mais aussi que les souffrances physiques et morales endurées par le malade après la « consolidation » constituaient un préjudice personnel qui devait être réparé de façon spécifique.

En définitive, la question posée était de savoir si les victimes de maladie professionnelle ou d'accident du travail ou leurs ayants droit peuvent prétendre à une indemnité complémentaire distincte de la rente prévue par le Code de la sécurité sociale. Oui, juge la Cour de cassation qui retient que la rente versée par la caisse de sécurité sociale aux victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle et qui est établie par rapport à leur salaire de référence et l'état définitif de leurs séquelles (appelé « consolidation ») n'indemnise pas leur déficit fonctionnel permanent, c'est-à-dire les souffrances qu'elles éprouvent par la suite dans le déroulement de leur vie quotidienne.

En revenant sur sa position, la Cour permet désormais aux victimes ou à leurs ayants droit d'obtenir une réparation complémentaire pour les souffrances physiques et morales endurées après « consolidation », réparation qui peut être obtenue sans qu'ils n'aient à fournir la preuve que la rente prévue par le Code de la sécurité sociale ne couvre pas déjà ces souffrances.

Les décisions rendues « marquent une évolution importante en matière d'indemnisation, notamment pour les salariés qui ont été exposés de façon prolongée à l'amiante », explique la Cour dans son communiqué. Un « revirement » qui « marque aussi un rapprochement avec la jurisprudence du Conseil d'État qui juge que la rente d'accident du travail vise uniquement à réparer les préjudices subis par le salarié dans le cadre de sa vie professionnelle (pertes de gains professionnels et incidence professionnelle de l'incapacité) » (CE, avis, 8 mars 2013, n° 361273 ; CE, 23 déc. 2015, n° 374628 ; CE, 18 oct. 2017, n° 404065).

Sources Lexis-Nexis

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