Chronique Juridique
04/02/2020

Le charme discret du pacte Dutreil.

par Sylvain Cuvigny - Avocat Associé – Cabinet Fidal

et Arnault Schmit – Juriste – Cabinet Fidal

 

Parce qu’une entreprise est un écosystème fragile dont la pérennité est un impératif économique, qui en même temps constitue souvent l’essentiel du patrimoine de l’entrepreneur, sa transmission comporte de nombreux enjeux. Dans cette perspective, le législateur a mis en place un dispositif qui permet la transmission de l’appareil productif dans des conditions fiscales avantageuses afin d’éviter que les ayants-droits n’aient à céder l’entreprise pour s’acquitter des droits de succession.

Ce dispositif, dit du « pacte Dutreil », repose sur un régime d’engagement de conservation et implique dès lors que la transmission de l’entreprise soit anticipée par son dirigeant. Il ouvre droit à une exonération de l’assiette des droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75%, complétée lorsque le disposant a moins de 70 ans d’une réduction de 50% du montant des droits lorsque la donation porte sur des droits en pleine propriété. Etant conçu pour assurer la stabilité du tissu économique, il ne s’applique donc que pour les sociétés à caractère commercial, industriel, artisanal ou libéral, à l’exclusion des activités patrimoniales. Dès lors, la place de certains actifs dans le patrimoine social, tels que les immeubles ou une trésorerie excédentaire, sera déterminante : si une activité mixte est tolérée, une société dont l’activité non commerciale est prépondérante ne pourra pas bénéficier du régime de faveur. Cependant une holding, dont l’objet est la détention et la gestion d’une participation, peut malgré tout être considérée comme éligible si cette société est animatrice de son groupe, ce qui implique qu’elle participe activement à la détermination de la politique dudit groupe et au contrôle de ses filiales. Cette qualité de holding animatrice souffre d’une forte instabilité d’appréciation entre la doctrine et la jurisprudence. Elle doit en tout état de cause reposer sur un solide faisceau d’indices et l’analyse d’un conseil en fiscalité.

Le pacte Dutreil s’applique pour les titres sociaux transmis sous engagement collectif de conservation entre les associés, lequel doit porter sur au minimum 34% des droits de vote et 17% des droits financiers. Le pacte, qui doit être enregistré auprès de l’administration fiscale, est conclu pour une durée de 2 ans. Lors de la transmission, l’engagement individuel de conserver les titres sociaux à l’issue de l’engagement collectif est pris par les donataires pour une durée de 4 ans. Enfin, un associé signataire du pacte doit exercer une fonction de direction durant la totalité de l’engagement collectif et pendant trois ans à compter de la transmission.

Transmettre ne signifie pas nécessairement transférer le pouvoir de diriger. En effet, l’entrepreneur peut donner la nue-propriété des titres sociaux tout en conservant, via la réserve d’usufruit, certaines prérogatives dont l’appréhension des revenus distribués. Néanmoins, pour bénéficier du pacte Dutreil dans une transmission sous démembrement, les pouvoirs de l’usufruitier ayant donné la nue-propriété devront être exclusivement limités à l’affectation des bénéfices.

Parfois seul l’un des enfants de l’entrepreneur a l’envie et les compétences pour reprendre l’entreprise familiale, alors même que le parent souhaite transmettre équitablement son patrimoine à ses enfants. Aussi, l’apport des titres sociaux reçus par l’enfant repreneur à une holding permettra de générer un effet de levier par sa capacité d’endettement et de verser aux autres héritiers la compensation en valeur des biens professionnels attribués entièrement au repreneur, technique connue des praticiens sous le nom de Family Buy Out.

FOCUS sur la transmission dans l’hypothèse d’une cession

En prévision d’une éventuelle cession, l’entrepreneur pourrait souhaiter affecter une partie du prix à ses enfants. Il aura alors intérêt à donner les titres d’abord, en laissant ensuite le donataire céder les titres sociaux reçus et recevoir une partie du prix.  Cette opération, qui permet d’effacer pour partie la plus-value, n’est pas incompatible avec le pacte Dutreil mais exige d’anticiper la future cession au-delà des six années précédentes, permettant alors une transmission dans les meilleurs conditions possibles du patrimoine professionnel.

 

À lire aussi