Chronique Juridique
19/03/2019

Me France CHARRUYER

Société d’avocats ALTIJ, associé fondateur

Je fume et/ou je vapote. La distinction est subtile et ne va pas sans rappeler Magritte avec son « ceci n’est pas une pipe ».

La cigarette électronique produit une fumée artificielle qui ressemble visuellement à de la fumée mais ce n’est pas de la fumée, c’est de la vapeur (fines particules aromatisées ou non). L’important réside semble-t-il dans la simulation… pour le vapoteur de l’acte de fumer : ça ressemble à une cigarette mais ce n’est pas destiné à fumer, c’est destiné à simuler l’acte de fumer.

Tout cela n’est peut-être qu’une question de sensations, qu’importe la fumée pourvu qu’on ait l’ivresse.

La distinction est délicate, mais a son importance.

1. l’e-cigarette : une clope en plastique ou un médicament ?

A en croire le champ d’application de l’article L.5111-1 du Code de la santé publique, qui définit le médicament comme « toute substance possédant des propriétés curatives ou préventives », l’e-cigarette ne semble pas rentrer dans cette catégorie.

Pourtant le marché propose des produits avec et sans nicotine, quelles conséquences ?

Bien que présentée comme un substitut au tabac, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament a clairement donné les conditions de délivrance d’une autorisation de mise sur le marché de l’e-cigarette en tant que médicament (avis du 30 mai 2011) : elle doit revendiquer une aide au sevrage, la quantité de nicotine doit être supérieure ou égale à 10 mg, et le liquide rechargeable doit avoir une concentration de nicotine supérieure ou égale à 20mg/ml.

L’e cigarette lorsqu’elle ne remplit pas les conditions précitées sur la concentration en nicotine et ne revendique pas un effet bénéfique pour la santé ne saurait être assimilée à un médicament.

Aucun fabriquant ne dispose aujourd’hui de la qualification de médicament pour ses produits, doit-on pour autant faire le raccourci simpliste entre la cigarette électronique et les produits du tabac ?

2. Je vapote, donc je fume « un produit du tabac » ?

Malgré le nuage de fumée autour de l’e-cigarette, celle-ci n’est composée en aucune façon de tabac. Elle ne peut donc être perçue comme une cigarette traditionnelle au sens de la directive du 21 juin 2011 (n°2011/64/UE).

Est-ce pour autant un produit du tabac ?

Une directive européenne du 5 juin 2001 (n°2001/37/CE), reprise par une convention-cadre de l’OMS du 21 mai 2003 et imitée par l’article L3511-1 du Code de la santé publique, entend par produit du tabac tout « produit fabriqué entièrement ou partiellement à partir de tabac en feuilles comme matière première, et destiné à être fumé, sucé, chiqué ou prisé ».

Or la cigarette électronique ne contient pas, en substance, quelque tabac que ce soit, il paraît alors incongru au sens de ces dispositions, de la considérer comme un produit du tabac. La jurisprudence va pourtant en faire une appréciation très critiquée.

3. Oubliez la santé, le tabac et Magritte… et si seul le commerce comptait ?

Tout intéressé peut librement faire le commerce de la cigarette électronique.

C’est ce que prévoit notamment l’accord européen du 18 décembre 2013 concernant la future directive anti-tabac. Cependant, ce nouveau marché entre en concurrence avec celui de la cigarette traditionnelle, contrôlé par les buralistes.

Alors que l’absence de qualification juridique laissait penser à un produit sui generis, un arrêt du 9 décembre 2013 (n°2013J01206), rendu par le tribunal de commerce de Toulouse, est venu semer le trouble.

Le juge toulousain a logiquement interdit la publicité indirecte d’e-cigarettes. Il s’est fondé sur les dispositions visées aux articles L.3511-3 et L.3511-4 du Code de la santé publique, pour caractériser l’infraction. Celles-ci sanctionnent la publicité indirecte ou propagande de tout produit autre que le tabac « lorsque par son graphisme, sa représentation, l’utilisation d’une marque, d’un emblème publicitaire ou un autre signe distinctif, elle rappelle le tabac, un produit du tabac ou un ingrédient défini au deuxième alinéa de l’article L3511-1 ».

De façon plus hasardeuse, le tribunal en a aussi interdit la commercialisation. L’article L.3511-1 a fait l’objet d’une appréciation extensive et désignerait « tous les autres produits de substitution, existants ou à venir » de la cigarette traditionnelle.

De plus, en application de l’article 568 du Code général des impôts, la juridiction toulousaine a caractérisé un acte de concurrence déloyale, en raison du non-respect du monopole des buralistes concernant la distribution des produits du tabac.

Le tribunal symboliquement et de manière caricaturale vise « tous les produits de substitution » présents et à venir.

Cet argument juridique semble infondé et a été critiqué (outre le risque d’incohérence avec le droit européen), et un appel a été formé contre les dispositions dudit jugement.

Pour l’heure, la vente d’e-cigarette reste libre en boutique ou en bureau de tabac (sauf les réserves énoncées supra).

Une circulaire à la rescousse.

Début 2013, la ministre de la santé annonçait une circulaire visant à interdire la publicité de la cigarette électronique. Cependant, seules des mesures relatives à la protection des mineurs ont été prises.

Le CSA a interrogé la ministre de la Santé en janvier dernier.

Une telle circulaire – toujours en attente – serait la bienvenue pour y voir plus clair dans l’épais nuage de fumée autour de l’e-cigarette

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