Chronique Juridique
04/02/2020

La pression populaire peut-elle contraindre l’employeur à licencier pour sanctionner des faits relevant de la vie privée des salariés ?

Par Maître Christophe MARCIANO

Avocat près la cour

(article paru dans La Dépêche du Midi, Annonces légales du 2 février 2020)

Il s’agit de LA polémique de cette rentrée 2020. Mais derrière le fait divers se cache une véritable interrogation mêlant des principes de droit pénal et de droit du travail.  

Deux salariés de l'entreprise « LE SLIP FRANÇAIS », se sont filmés durant une soirée sur le thème « Viva Africa » l'une arborant une « blackface », l'autre déguisé en singe, et se déhanchant de manière ridicule sur le titre « Saga Africa » provoquant l'hilarité des autres participants.

Une « simple soirée entre potes » selon les termes de l'une des protagonistes, qui a surtout déclenché une véritable tempête sur les réseaux sociaux, les internautes n'hésitant pas à réclamer au SLIP FRANÇAIS le licenciement des protagonistes identifiés...

Un deuxième cas, également très récent, illustre ce débat, à savoir le licenciement par la société DERICHEBOURG d’un salarié pris en photo en train de se reposer dans une rue de Paris durant sa pause.

Une question se pose alors : est-il souhaitable que la garantie offerte par le droit du travail à la protection de la vie privée de chaque salarié cède sous la pression de la rue, ou, en l'espèce, de réseaux sociaux et d'internet ?

Le Code du Travail garantie le respect de la vie privée de chaque salarié. Il s'agit d'une liberté fondamentale, qui garantit notamment qu'en tant qu'Homme et Citoyen Libre, aucun salarié ne peut être sanctionné en raison de ses mœurs, de ses relations familiales, de ses opinons politiques, religieuses, spirituelles, politiques…

Pour autant, cette « immunité disciplinaire » n'est pas absolue et comporte des limites :

  • les actes de la vie personnelle se rattachant à la vie professionnelle peuvent être sanctionnés lorsqu’ils sont répréhensibles ou nuisibles à l’entreprise, commis en dehors du temps de travail, mais en lien avec sa vie professionnelle.

Ex : Un chauffeur routier dont le permis de conduire a été retiré à la suite d’un contrôle d'alcoolémie positif dans la mesure où le permis de conduire était indispensable à l'exercice de son métier.

  • le manquement à l'obligation de loyauté peut être sanctionné de manière disciplinaire. Ce sera le cas par exemple pour un salarié qui s'adonne à une activité lucrative au cours d'une période d'arrêt maladie.
  • en cas de trouble objectif pour l'entreprise, le salarié peut être licencié pour cause personnelle uniquement.

La protection du droit à la vie privée des salariés garantie par le Code Civil peut-elle être réduite par la pression et les réseaux sociaux ?

Toute entreprise évolue dans un écosystème composé notamment de ses clients, de ses fournisseurs, de ses prestataires... Ce qui aurait encore pu hier rester aussi privé qu' « une soirée entre potes » s'est transformé en véritable tempête médiatique du fait notamment du développement des nouvelles technologies et, en particulier, du fait de l'importance des réseaux sociaux.

Or, sauf si ces salariés ont agi en contradiction directe avec une mention spécifique de leur contrat de travail, du règlement intérieur ou d'une charte de bonne conduite interne à l'entreprise, aucun de ces salariés n'a commis de faute disciplinaire.

Il y a tout lieu de penser que si « LE SLIP FRANÇAIS » a réagi si vite, c’est non pas en termes de droit du travail mais bien pour éteindre une polémique gênante pour son image.

Il est extrêmement dangereux de légitimer un licenciement du fait de la pression des réseaux sociaux et de l'opinion publique. Plus les licenciements seront justifiés du point de vue « d'une certaine morale », plus la liberté protégeant la vie privée des salariés s'effritera. Et un jour, parce qu'une certaine opinion active sur les réseaux sociaux condamnera un comportement privé, cette liberté individuelle ne sera plus protégée.

Est-ce vraiment ce que nous souhaitons ?

 

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