Chronique Juridique
11/02/2015

Stella BISSEUIL

Avocat au barreau de Toulouse

La Cour de Cassation, par décision en date du 13 février 2015, a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse dans l’affaire AZF pour des motifs tenant, d’une part, au défaut d’impartialité objective d’un magistrat, du fait de son adhésion à l’INAVEM, fédération d’associations d’aide aux victimes, liée à une autre association, partie civile, et, d’autre part, à la qualification de la faute pour l’infraction de dégradation involontaire d’un bien, infraction qui suppose de retenir, non pas la faute caractérisée, comme le prévoient les textes relatifs aux homicides et blessures involontaires, mais le manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

Rappelons que les prévenus, la Sté Grande Paroisse, filiale du groupe Total, et M. Biechlin, directeur du site, avaient été condamnés par la cour d’appel de Toulouse qui avait retenu la cause accidentelle de l’explosion due à un mélange de produits incompatibles, et la faute caractérisée de l’industriel en lien de causalité avec l’explosion.

La décision de la Cour de Cassation ne peut que surprendre, s’agissant d’un procès hors norme, dont la cassation entraîne de lourdes conséquences.

Le premier motif de cassation

C’est la composition de la cour d’appel qui est essentiellement à l’origine de cette décision. Pourtant, la complémentarité des associations en cause, l’INAVEM d’une part, à laquelle appartenait le magistrat, et la FENVAC d’autre part, partie civile institutionnelle dans toutes les catastrophes collectives, était officielle, figurait explicitement dans le guide méthodologique « la prise en charge des victimes d’accidents collectifs » édité par le Ministère de la Justice depuis 2004 (http://www.justice.gouv.fr/art_pix/gmvictacccolletifs.pdf), et a été mise à l’oeuvre à de nombreuses reprises dans toutes les situations d’accidents collectifs ou de terrorisme survenues ces dernières années.

De plus, la composition de la cour d’appel avait été validée par le premier président, informé des fonctions du magistrat au sein de l’INAVEM.

Mais, selon la Cour de Cassation, la cour d’appel aurait du « aviser les parties de cette situation, alors que ces éléments étaient de nature à créer, dans leur esprit, un doute raisonnable, objectivement justifié, sur l’impartialité de la juridiction ».

Ce manquement a fragilisé le procès et permis à la défense d’obtenir l’annulation de la décision de condamnation, ce qui impose aujourd’hui aux victimes, après 14 ans de procédure, un troisième procès.

Le deuxième motif de cassation

Le deuxième motif de cassation semble plus secondaire puisqu’il concerne la qualification de la faute de l’industriel pour la seule infraction de destruction involontaire de biens (article 322-5 du CP), ne remettant pas en cause celles d’homicides et blessures involontaires, de telle sorte que sur ce point, l’Avocat Général avait préconisé une cassation partielle.

Le renvoi du nouveau procès devant la cour d’appel de Paris

La Cour de Cassation précise, par délibération spéciale prise en chambre du conseil, que l’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Paris.

Cette attribution de compétence devance l’application des nouveaux textes en matière d’accidents collectifs. En effet, le décret n° 2014-1634 du 26 décembre 2014 fixe la liste et le ressort des juridictions interrégionales spécialisées en matière d'accidents collectifs qui prévoit, dans le cadre de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à « la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles », la création de deux pôles spécialisés, Paris et Marseille, la juridiction toulousaine relevant désormais de la compétence de Paris.

Ainsi, la juridiction toulousaine semble bien déshéritée : après de nombreux regroupements de compétences en faveur de la juridiction bordelaise, les accidents collectifs se jugeront à Paris…Cette nouvelle législation peut avoir un champ d’application très large, puisqu’elle concerne tous les « accidents collectifs », terme qui désigne, selon la circulaire d’application, « les délits d’homicides ou de blessures involontaires dans les affaires qui comportent une pluralité de victimes et sont ou apparaîtraient d'une grande complexité ». Les textes donnent aux Parquets des juridictions concernées l’initiative de la procédure de dessaisissement.

Nous sommes ainsi au coeur des politiques judiciaires contradictoires menées par le Gouvernement qui développe d’une part l’accès au Droit et la justice de proximité, notamment d’ailleurs par le financement d’un réseau associatif de type INAVEM/ SAVIM pour l’aide aux victimes, et parallèlement, pour faire des économies et spécialiser les juridictions, éloigne celles-ci du justiciable.

Ainsi, l’affaire AZF fera en premier lieu les frais de cette nouvelle répartition des compétences. Déplacement des victimes, difficultés de suivi des dossiers, augmentation considérable des frais de défense, les « Toulousains » ne joueront plus à domicile…



Article du même auteur sur le sujet paru dans le numéro de février de la revue Droit Pénal, éd. LexisNexis : Dr. pén. 2015, étude 7.

 

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